Une affaire de famille : un nouveau projet vise à améliorer l’expérience des familles des patients de réanimation

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La médecine intensive-réanimation est l’une des innovations médicales du XXe siècle, réunissant des médecins et des infirmières spécialisés, des dispositifs de surveillance sophistiqués et des systèmes qui monitorent les organes des patients atteints d'affections potentiellement mortelles. L'ère du COVID-19 a démontré l'importance de la réanimation qui peut sauver la vie des patients atteints de pathologies sévères.

Cependant, avoir un proche en réanimation peut être très difficile à vivre pour les familles. Les patients sont branchés à des machines inconnues et intimidantes, parfois sous sédation et incapables de communiquer. Leur état et le pronostic peuvent varier considérablement d'un jour à l'autre. La crainte d’une issue fatale peut alors être au centre de chaque conversation.

Le professeur Élie Azoulay, qui dirige l'unité de soins intensifs de l'hôpital Saint-Louis (AP-HP) à Paris, dirige un projet de 9 millions d'euros sur cinq ans pour détecter, prévenir et atténuer la façon dont les membres de la famille sont affectés par le passage d’un proche en service de réanimation. Le projet s'appelle FAME : l’amélioration de l’expérience des familles des patients de réanimation. Il regroupe près de 80 services de réanimation en France, et notamment des psychiatres et des spécialistes en sciences sociales. GE Healthcare est le principal partenaire industriel du projet.

Le Pr. Azoulay a étudié la façon dont les professionnels de santé communiquaient avec les proches des patients au cours des deux dernières décennies. Il explique que les professionnels de santé connaissent déjà le syndrome de stress suite à un séjour en réanimation : un ensemble de symptômes pouvant inclure l'anxiété, la dépression, le stress et l'insomnie.[1] Ce syndrome peut affecter non seulement les patients eux-mêmes, mais aussi leurs familles. "Cela est lié à la dimension technique, stressante de chaque service de réanimation et aux variations quotidiennes de l’état de santé du patient qui mettent à mal l’équilibre émotionnelle des familles", explique-t-il.

Le consortium FAME souhaite en savoir plus sur les proches susceptibles d'être les plus à risque de développer un stress post-traumatique. Il espère également développer des solutions pour détecter, prévenir et atténuer cet état. Dans l'une des premières études du Pr. Azoulay sur ce sujet, lui et d'autres chercheurs ont découvert que trois mois après le séjour d'un patient en réanimation, 30% des membres de la famille interrogés souffraient d'un état de stress post traumatique important. Pour les patients décédés en réanimation, la prévalence de ce syndrome parmi les membres de la famille était de 60 %.[2]

Le professeur Azoulay et ses co-chercheurs ont découvert qu'une meilleure communication peut réduire ces chiffres. Dans une étude publiée en 2007 dans le New England Journal of Medicine, ils ont testé un protocole permettant aux cliniciens de parler de la situation de fin de vie d'un patient avec les membres de sa famille.[3] "Lorsque la communication était centrée sur les familles et que nous pouvions leur consacrer du temps pour qu’elles expriment leurs préoccupations et nous donner des informations importantes pour les aider, il y avait une diminution du nombre de proches souffrant d'anxiété et de dépression, et une diminution du nombre de membres de la famille atteints de stress post-traumatique", dit-il.

L'approche unique du projet FAME réside dans le fait que les chercheurs prévoient d’analyser le sang et d'autres échantillons provenant des membres de la famille des patients pour identifier les biomarqueurs du stress post-traumatique, en considérant qu’un stress chronique laisse des traces physiques sur le corps. À l'aide de données génomiques entre autres, les chercheurs espèrent identifier les proches les plus susceptibles de développer un stress post-traumatique et leur offrir des ressources pour les accompagner. Le projet suivra les membres de la famille jusqu'à six mois après la sortie d'un patient de réanimation.

"Nous sommes vraiment enthousiastes car nous passons de la recherche pure, axée sur les soins centrés sur les familles, à des solutions concrètes et personnalisées, ce que nous voulions faire depuis longtemps", déclare Nancy Kentish- Barnes, sociologue qui codirige, avec le Pr Azoulay, le groupe de recherche Famiréa sur les expériences en réanimation.

En tant que partenaire industriel du projet FAME, GE Healthcare prévoit de développer des fonctionnalités spécifiques dans son système de gestion des données patient qui recueilleront des informations auprès des membres de la famille pour aider à prédire qui est à risque de développer un stress post-traumatique. Un autre objectif est de mettre à disposition des familles des mises à jour simples et fréquentes sur l'état du patient, afin de les aider à se sentir inclus dans les soins de leur proche.

"Une fois finalisé, le projet permettra à GE Healthcare de développer un logiciel contenant des fonctionnalités spécifiques et personnalisées centrées sur la famille pour la prévention du stress post-traumatique familial. Notre solution informatique prendra alors en charge une approche holistique pour une meilleure expérience de la réanimation. Non seulement pour le patient, mais aussi pour sa famille, les soignants et, finalement, pour l'ensemble de l'écosystème de santé", déclare le Dr. Marc Wysocki, directeur médical de GE Healthcare.

Les membres du projet prévoient le développement d’outils pour faciliter la sensibilisation des membres de la famille - de la réalité virtuelle aux bandes dessinées en passant par des vidéos qui les informeront de ce qui se passe dans l'environnement de la réanimation. Ils proposeront également un suivi aux membres de la famille, qu’il s’agisse d’une infirmière à l’écoute de leurs préoccupations après la sortie de l’hôpital, ou d’un psychologue ou d’un autre professionnel de santé permettant la guérison. 

"Dans les services de réanimation, nous avons un modèle où le stress post-traumatique peut être détecté et dépisté très tôt », explique le professeur Azoulay. « En France, un million de personnes chaque année auront un proche hospitalisé en réanimation.[4] Un tiers d’entre eux développeront ce syndrome. Ils prennent beaucoup d’antidépresseurs ; ils sont absents du travail — il y a d’énormes coûts directs et indirects. Nous devons travailler en étroite collaboration avec nos partenaires de l’industrie pour développer des produits commercialisables et trouver des solutions d’un bon rapport coût/efficacité qui auront un impact."

 


[1] Rawal G, Yadav S, Kumar R. Post-intensive Care Syndrome: an Overview. J Transl Int Med. 2017;5(2):90-92. Published 2017 Jun 30. doi:10.1515/jtim-2016-0016

[2] Azoulay E, Pochard F, Kentish-Barnes N, et al. Risk of Post-traumatic Stress Symptoms in Family Members of Intensive Care Unit Patients. Am J Respir Crit Care Med. 2005;171(9):987-94. Published 2005 May 1. doi: 10.1164/rccm.200409-1295OC. 

[3] Lautrette A, Darmon M, Megarbane B, et al. A Communication Strategy and Brochure for Relatives of Patients Dying in the ICU. N Engl J Med. 2007;356:469-478. Published 2007 Feb 1. doi:10.1056/NEJMoa063446

[4] La Statistique annuelle des établissements de santé (SAE) rapporte 259 073 séjours adultes et 16 016 séjours enfants (hors néonatalogie) en soins intensifs en 2020.